La Fontaine aux Croix et l'Ermitage de Sainte Radegonde

La fontaine aux croix

La Chanson « La Fontaine aux Croix » de l’album « Cluny, Ville Eternelle », se rapporte à un lieu précis de Saône et Loire.

Voici un article sur ce vestige païen, par Marie Milliflore. Une partie de cet article fut édité dans la revue « Histoire et Images Médiévales ».

La Fontaine des Croix se situe dans le bois de Bourcier, à l’est de Cluny, sur la montagne de Montmain. Sa légende nous a été rapportée en chanson par Florian Lacour, qui la tenait lui-même d’Amistia M. ; cette femme lui avait confié avoir trouvé son époux grâce à cette Fontaine, où les fées ont élu domicile… Un lieu fort célèbre, pour cette raison, vers 1930, dans les écoles d’institutrices de la région ! Tout près de là se trouvaient également une chapelle et un ermitage, aujourd’hui disparus, mais qui existaient encore au XVI e siècle.

Les jeunes filles se rendent à la Fontaine des Croix en secret ou en pèlerinage. Au pied du hêtre, d’où jaillit la source, elles plantent une petite croix de bois faite avec des branchettes trouvées aux alentours. Dans l’année même, assure la légende transmise de bouche à oreille, elles trouveront le grand amour !

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La Fontaine des Croix est une « fontaine de femmes », dans le sens où elle entretient un rapport privilégié avec elles. Un pèlerinage, qui avait lieu chaque année au printemps, le jour de l’Ascension, signait la clôture des « Fêtes du muguet », accompagnant les dévotions, et recréant la solidarité collective. En amont, mais aussi en marge de ces pèlerinages, on parle d’une pratique cachée, car certains rites doivent être suivis avec la plus grande attention pour être efficaces, et surtout sans témoins. Les jeunes filles s’y rendaient donc en secret pour y planter leur croix.

Boire l’eau de cette fontaine passait pour donner la mort. Cette réputation pourrait tenir à la présence de bourdaine, Rhamnus frangula, dont l’écorce est fortement purgative, ou bien à cette volonté de l’Eglise, depuis le concile d’Arles de 451, d’éradiquer les lieux de cultes païens.

LE SYMBOLISME DE LA CROIX

Il est intéressant, avec René Guénon, de rattacher le symbolisme de la croix à sa signification métaphysique : Nous pouvons parler de la croix comme symbole de l’union des complémentaires. La ligne verticale représentant le principe actif, la ligne horizontale, le principe passif, désignés respectivement, par analogie avec l’ordre humain, comme masculin et féminin (…) s’unissant jusqu’à fusionner indissolublement dans l’indifférenciation primordiale. Le centre renferme la Loi, c’est- à- dire l‘expression ou la manifestation de la « Volonté du Ciel ».

Aujourd’hui, le hêtre centenaire a disparu, mais la source coule toujours et les croix y sont de plus en plus nombreuses !

« Viens, viens avec moi à la Fontaine aux Croix, Car je sais qu’un jour tu trouveras le grand Amour » (Chanson de Florian Lacour et Isline Dhun, chantée par le groupe néo-médiéval Les Derniers Trouvères)

L’ERMITAGE DE SAINTE RADEGONDE

Si l’ancienneté du culte de la Fontaine des Croix n’est attestée par aucun document, l’implantation d’une chapelle auprès de la source n’est guère mieux datée. Elle existait au XII e, puisque la chronique de Cluny, rédigée à la fin du XV e siècle, cite la capella Sanctae Radegundis parmi les quatre lieux sylvestres fréquentés par les moines au temps de Pierre le Vénérable, avec la chapelle Saint-Romain, la chapelle Saint-Vital et la chapelle Saint-Jean-du-Bois. Cette dernière existe encore. Le choix de la dénomination de Sainte Radegonde peut constituer un indice de l’existence d’un culte ancien : remplacement du culte païen par celui d’une sainte ancienne, donc d’une réputation équivalente ! Evidemment, ce lieu demeure ainsi un lieu « féminin » par l’intermédiaire d’une telle dénomination : d’une sainte plutôt que d’un saint !

LA VIE ÉRÉMITIQUE

Dans sa « lettre à un Solitaire », Pierre le Vénérable s’adresse à l’un de ces ermites en ces termes : « Toi, touchant à peine la terre de tes pas, tu es comme suspendu au ciel par les efforts de ton âme.»

Pierre le Vénérable souffrait de son statut d’abbé qui l’obligeait à être toujours par monts et par vaux pour tenter de réconcilier les princes, ou bien à Cluny même, harcelé par les créanciers, et tout cela dans une atmosphère mondaine : « Dès que je pouvais retrouver avec toi un peu d’isolement (…) je me sentais fortifié, et je reprenais mes travaux avec des forces renouvelées et plus ardent que jamais. »

Au XII e siècle, plusieurs centaines de moines vivaient dans les forêts aux alentours de Cluny. Une telle importance accordée à l’érémitisme en ces lieux est une spécificité de Pierre le Vénérable. Il s’efforça d’aménager des lieux « sacrés et plus secrets » (sacra et secretiora), afin que ses moines, préservés de « la boue des affaires du siècle », puissent s’adonner pleinement, et plus efficacement encore, à la prière et à l’étude.

UN LOCUS

Combien la diplomatie requise pour réconcilier les princes, ainsi que la gestion de l’Ordre, en plein naufrage financier, devaient-elles demander de concentration ! C’était donc dans la paix discrète de cette forêt que des affaires de la plus haute importance étaient traitées. L’altitude, la forêt et la source faisaient du col de la Croix Montmain, Mons medius ou “Mont moyen”, un lieu stratégique plurifonctionnel. Ainsi, selon un chroniqueur du XV e siècle, il serait plus approprié de parler de locus plutôt que d’ermitage, locus signifiant lieu central, lieu de pouvoir, point de référence.

Et c’est ainsi que, de vœux en vœux auprès de la Fontaine des Croix, ou de prières en prières auprès de l’ermitage de Sainte Radegonde, les hommes se voyaient propulsés dans leur quête d’absolu, dans le silence de la forêt !

BIBLIOGRAPHIE :
Léonce Lex : “Le culte des eaux dans le département de Saône et Loire”, dans Annales de l’Académie de Mâcon TII, 3ème série, 1897 Brigitte Caulier : L’eau et le sacré, les cultes thérapeutiques autour des fontaines de France, du Moyen Age à nos jours, Paris, PUL, 1990 Gabriel Jeanton : Le Mâconnais Traditionaliste et Populaire II. Pèlerinages et légendes sacrées, Mâcon, Protat, 1921 René Guénon : Le Symbolisme de la Croix, Guy Trédaniel, 1996 Didier Méhu : Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny (Xe-XVe siècles), Presses Universitaires de Lyon, 2001

SAINTE RADEGONDE (518 – 587)

Radegonde, princesse allemande de la contrée de Thuringe, fut épousée par le roi Clotaire.

Face aux violences de son époux – il avait massacré toute sa famille ! – elle trouva refuge dans l’étude, l’accueil et les soins aux pauvres. La reine mérovingienne Radegonde devint rapidement très admirée de son peuple. Mais d’autres actes de violence survinrent, qui la décidèrent à s’enfuir et à prendre l’habit religieux.

Elle fonda l’abbaye de Sainte-Croix à Poitiers, premier monastère de femmes de toute l’Europe. Plus tard, elle renonça à son statut d’abbesse pour redevenir une simple moniale.

Radegonde était une femme sobre, courageuse et extrêmement intelligente, qualités qui firent d’elle l’égérie du célèbre poète italien Saint Fortunat.

A sa mort, de nombreux miracles eurent lieu auprès de son tombeau. Elle est invoquée principalement comme « Reine de la Paix ».

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